Ephemera vulgata, Ephéméroptère, Ephemeridae, Michel Le Masson 22/06/2020, La Rivoire, Champs-sur-Drac (Isère)
A l’origine, chez beaucoup d’entomologistes il y a de l’émerveillement : « L’ocelle d’une aile de papillon ne cache rien d’inférieur au golfe de Naples ou à la baie de Rio, dont nous ne percevons non plus rien que la surface (…) Dans mes souvenirs, les spectacles naturels s’ordonnent justement autour d’instants durant lesquels je scrutais avec attention l’un de leurs détails minuscules. Il s’établissait alors un contact, dont jaillit une lumière particulière » écrit Ernst JÜNGER.
Cet émerveillement devant les insectes est souvent issu de l’enfance. Ecoutons Maurice GENEVOIX : « C’est en ces jours radieux que j’ai lié connaissance avec le monde des insectes. Comment ne pas s’émerveiller, lorsque l’on a deux ou trois ans, au passage d’un carabe doré sur le sable d’un chemin ? Ce long joyau coruscant, aux élytres de métal vert guilloché d’or, aux pattes rouges, si rapide, il a filé comme un météore ; et l’enfant continue de le voir, rai de lumière sur sa rétine, bien après qu’il a disparu sous les herbes »
Observer les insectes, c’est donc vivre au grand air, faire de nos promenades, de l’ensemble des champs, des forêts et des montagnes, des occasions de nous émerveiller. Notre cabinet de curiosité est à ciel ouvert et notre regard émerveillé oscille entre le très haut avec les papillons, les insectes volants et le très bas avec les bousiers, les insectes rampants, les cavernicoles. De l’idéal au fécal, de l’éther à l’aptère…
Observer, c’est aussi un plaisir, celui de vivre avec les bêtes et les saisons : « On allait voir si le Scarabée sacré avait fait sa première apparition au plateau sablonneux des Angles, et roulait sa pilule de bouse, image du monde pour la vieille Egypte (…). Pour abréger, disons que, gens simples et naïfs, prenant un vif plaisir à vivre avec les bêtes, nous allions passer une matinée à la fête ineffable du réveil de la vie au printemps ».
Observer, c’est une recherche mais aussi des rencontres inattendues laissées au hasard des tribulations de l’entomologiste. Partis pour observer des nids d’abeilles terricoles Lasioglossum leucozonium (Halictidae), nous voilà arrêtés en chemin par une grosse tarentule radiée (Hogna radiata) et notre regard bientôt capté par une Mantispe commune (Mantispa styriaca), insecte que nous n'avions jamais observé auparavant. L’attention aux insectes consiste ainsi, parfois, à suspendre sa pensée, à la laisser disponible, vide et attendre des rencontres inattendues : « Les biens les plus précieux ne doivent pas être cherchés, mais attendus ».
Si l’émerveillement envers les insectes commence avec l’enfance, il nous renvoie également à notre finitude et à des aspects de notre humanité que nous ne pouvons aborder ici que sur la pointe des pieds. La beauté des insectes n’est ni un simple ornement ni un seul objet de contemplation, mais aussi une énigme. Sur ces profondeurs de l’observation, laissons la parole au poète : « Cette splendeur semble avoir sa source dans la mort, non dans l’éternel ; cette beauté parait dans le mouvant, l’éphémère, le fragile ; finalement, l’extrême beauté luirait peut-être dans l’extrême contradiction ; dans la contradiction portée jusqu’à l’énigme et jusqu’à une énigme qui, à la réflexion, doit nous sembler une folie : ailes de papillon, graines, regards… »